Alexandre Nicolas
Alexandre Nicolas
BESTIAIRES COLLECTIFS
Entre Memento mori et archétypes, Alexandre Nicolas s’empare des mythes modernes et des symboles de la contre-culture populaire pour signer des séries étonnantes, sculptures et inclusions inspirées autant par le cinéma fantastique et la bande dessinée, que les Young British Artists et le nouveau réalisme d’Arman ou Spoerri.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Alexandre Nicolas : Je suis issu d’une famille nombreuse, une véritable tribu, ma grand-mère ayant eu quinze enfants. Au milieu de cette ribambelle de cousins, chacun était obligé d’affirmer sa personnalité, voire de s’inventer un personnage pour exister et faire sa place. Je me suis fait remarquer en faisant du théâtre, de la musique, puis en faisant des choix pas forcément compris de tous. Tout ce qui est borderline m’a toujours attiré. Je me passionne souvent pour des choses lourdes de sens, que d’autres peuvent d’ailleurs juger immorales, mais c’est un peu la base de ma démarche artistique que de déranger et de provoquer le dialogue. Mon œuvre joue sur le principe de suspension et d’enfermement, et la notion de mort que j’ai côtoyée très tôt et qui a imprégné ma famille. Ce n’est pas quelque chose qui me fait peur, au contraire, cela me fascine.
Vos œuvres les plus emblématiques sont réalisées à partir d’inclusions dans du cristal de synthèse. Pourquoi ce choix ?
Alexandre Nicolas : J’ai fait des études en design industriel. J’ai toujours besoin de me rassurer par la technique, mais aussi de me créer des contraintes, des barrières. C’est ce cadre que j’ai trouvé dans la résine à inclusion, une matière un peu aseptisée, froide à l’extérieur mais contrebalancée par la couleur que j’introduis. L’inclusion est un procédé qui marque la transparence, la suspension, amène un sentiment de légèreté et stoppe le temps en un instantané. Ma table de poker par exemple est une véritable partie de professionnels que j’ai immobilisée au moment où l’un d’entre eux allait gagner.
Comment vous est venue l’idée de figer vos sujets, super-héros et icônes contemporaines, à l’état de fœtus ?
Alexandre Nicolas : Dans La part de l’autre, Éric Emmanuel Schmitt écrit que c’est nous qui décidons de ce que nous sommes, en prenant notamment le cas d’Hitler dont la destinée, et donc la nôtre, aurait été différente s’il avait eu son diplôme des beaux-arts. La première série des «prédestinés» est née après la lecture de ce livre. Figer ces fœtus, c’est aussi leur conférer un statut d’icône, les déifier. Ils sont à la genèse de ce qu’ils vont devenir. Je les mets en scène comme une armée, un bataillon de mes fantasmes. J’ai un rapport étrange avec mes sculptures, une liaison de l’ordre de l’intime. Mon ambition est de faire comprendre que ces super-héros sont produits par une société qui voudrait nous rassurer mais qui en fait, cultive la peur. Ma prochaine série portera sur des créatures monstrueuses, extraordinaires et mythologiques telles que Chimère, Gorgone, Méduse, le loup-garou, le Centaure, et des divinités comme Anubis ou Ganesh.
Comment réagit le public devant vos pièces qui peuvent parfois être dérangeantes ?
Alexandre Nicolas : Mes œuvres suscitent des réactions hallucinantes, tant elles sont imprégnées par l’histoire collective. Dans toutes les pièces que j’ai produites, il y a un contrepoids, un élément de réalité qui nous raccroche à notre histoire. Le principe des «Versus » consiste à présenter des éléments pour que chacun puisse réagir avec son ressenti, son histoire et ses référents. Dans la série des Prédestinés, c’est Hitler. Dans la série Versus, c’est Youri Gagarine. Il a été mon premier super-héros. Enfant, dans ma chambre, j’avais un poster du Spoutnik qui me faisait rêver. La genèse de ma propre mythologie m’intéresse aussi. Ces inclusions forment des sortes de mausolées, d’urnes qui gardent en elles le poids de mes émotions. Pour les Porcelaines de Limoges, j’ai réalisé des pièces uniques de vases et de vanités sculptées et écorchées, à partir d’un moule de mon propre crâne. La porcelaine, c’est un choix de matériaux qui me correspond, costaud et fragile à la fois.
Hugo Gaspard