Frédéric Léglise
Frédéric Léglise
La caresse du pinceau
À l’heure de l’immédiateté, d’aucuns s’engagent dans une conquête du temps inversé, celui de la pose, celui de l’effeuillage, celui du désir qui précède à l’acte. Frédéric Léglise est de ceux-là. Il peint avec patience et plaisir des femmes, privilégiant la rencontre avec l’inattendu. Son pinceau ne se lasse pas de définir ces corps qui se dévoilent, parfois entièrement, livrés à l’instant de la troublante intimité entre le peintre et son modèle.
Tout a commencé par une jolie histoire entre deux étudiants aux Beaux-Arts de Quimper : « Lorsque je suis parti étudier à l’École des Beaux Arts de Paris, je laissais derrière moi mon amoureuse de l’époque. Pour pallier le manque, je me suis mis à lui envoyer des aquarelles érotiques. C’était à l’opposé de ce qu’était mon travail par ailleurs, tendu vers l’abstraction, expression privilégiée de l’époque. Mais j’ai vite compris que j’étais bien plus intéressé par la question du rapport amoureux que par celle de l’abstraction. Dans les années 90, la figuration était ringarde. Si on s’aventurait dans cette direction, alors un discours conceptuel devenait nécessaire. Il fallait marcher sur les traces de Duchamp qui avait pris le contre-pied de la peinture, revendiquant la fin du seul plaisir rétinien. »
Grâce à cette correspondance érotique, le jeune peintre s’autorise la figuration, et le plaisir de la peinture, une forme d’incarnation. Et pour que le plaisir envahisse tout le cadre, Frédéric Léglise convoque un autre sens : « La pratique de la peinture elle-même contient beaucoup de sensualité. L’huile possède une fluidité qui fait qu’avec le pinceau je caresse la femme. Dans mon travail, je commence toujours par un face à face photographique avec la femme que je choisis de peindre et qui aura accepté de poser. Ce ne sont jamais des professionnelles, mais plutôt des personnes que je rencontre grâce à des amis, ou dans des vernissages. Il arrive qu’elles viennent spontanément vers moi. Je ne peux pas utiliser des images récupérées sur Internet pour travailler. J’ai besoin de la rencontre avec la personne. Un vrai rapport au vécu m’est indispensable pour peindre. Dans une séance photo, qui peut durer deux ou trois heures, je vais proposer des choses, et cela va parfois aller jusqu’au nu. Ce tête-à-tête engendre un trouble chez moi et chez le modèle. Par la photo, je capture, mais avec la peinture, j’établis un rapport sensuel. Dans la peinture, il existe une transposition qui passe par la matérialité de l’artiste. »
« Ma peinture est une sorte de conquête amoureuse sublimée. »
L’origine du trouble, le moment juste avant la bascule, c’est précisément cela que Frédéric traduit avec une parfaite maîtrise de son art. Pleinement conscient de sa grande sensibilité à la féminité, il n’en demeure pas moins lucide : « J’éprouve la plupart du temps un vrai désir érotique pour le modèle. La peindre est une façon de sublimer ce désir. On ne peut pas avoir toutes les femmes (sourire). Mon érotisme n’est pas vain je crois, dans la mesure où il passe par une reconnaissance de l’altérité. Ma peinture est une sorte de conquête amoureuse sublimée. La photographie contient, pour moi, quelque chose de morbide, trop rapidement consommé, trop immédiat. » Dans son œuvre, on croise un homme, lui-même, contrepoint de ses modèles féminins : « Mes autoportraits, avec tous ces yeux, représentent mon regard, ma subjectivité. L’érotisme, un des axes principaux de mon travail, est une affirmation du plaisir, du désir et d’une certaine liberté. »
Cependant, la liberté de Frédéric passe par une parfaite maîtrise de la technique picturale : « Le rapport au savoir-faire revient aujourd’hui, alors qu’il était, un temps, méprisé. Ceci étant, il est insuffisant à l’œuvre. Pour qu’elle naisse, il faut rassembler des éléments qui tiennent ensemble. Difficile de dire comment soudain jaillit une œuvre forte. Une partie du travail consiste à évacuer l’inutile, ce qui parasite. Pendant longtemps, je me suis débarrassé de toute forme de décor, et puis c’est devenu un système dont il fallait que je sorte. Je devais me réapproprier la surface autour du nu, sans qu’elle soit trop bavarde, existant uniquement pour affirmer la présence du modèle. » Le pari de Léglise est réussi, déjouant le piège de la pornographie, flirtant finement et patiemment avec la transgression : chaque femme a son écrin, qu’il soit fait de feuilles d’or ou d’un décor résumé, accueillant le portrait accompli de la muse lascive, joueuse, abandonnée à l’intimité de cette rencontre inattendue et désirée.
Vanina Tarnaud